amour

Comment se combinent les deux niveaux d’amour ?

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Une méditation sur l’amour : un article de Dane Rudhyar.

Deux niveaux d’amour

Tout le monde parle d’amour. La plupart des gens « font l’amour ». Une femelle aime ses petits et se battra pour eux. Carmen est tuée par son amant dans la passion d’un amour frustré. Le saint chrétien aime Dieu. Le bhakta hindou et le derviche perse chantent ou dansent jusqu’à s’effondrer dans une frénésie d’amour pour l’éternel bien-aimé. Roméo et Juliette, Tristan et Yseult meurent d’amour. Des millions de personnes ne commencent à vivre réellement que lorsque l’amour les prend. Lorsqu’il les renouvelle dans la joie et la douleur. L’amour, toujours l’amour !

« Dieu est amour », nous dit l’Apôtre. Mais la vie aussi naît de l’amour, se consomme dans l’amour. L’amour et la mort. L’orgasme et l’extase. La sainteté et la tragédie. Les rêveries fiévreuses des mystiques et des adolescents, les étreintes du conformisme conjugal ou les jeux sexuels. Ce qui cache l’ennui ou le vide sous le couvert d’aventures amoureuses. Quelle confusion autour de ce petit mot – amour !

Pourquoi doit-il servir à tous les usages ? Se réfère-t-il en fait à une multitude de sentiments, d’actes, de niveaux de conscience très différents ? Ou n’y a-t-il qu’un seul sentiment, une seule puissance, une seule pulsion qui s’exprime par de nombreux chemins ? Qui prend une myriade de formes pour atteindre son but essentiel ? Quel pourrait être ce but ?

Dans ces quelques pages, j’essaierai au moins de suggérer la nature de ce but. Après l’avoir énoncé, je montrerai que dans le vaste drame cyclique, la « pièce de théâtre », de l’existence, cette puissance – « l’amour » – opère fondamentalement de deux façons ou à deux niveaux. Chez l’homme et chez la femme, deux modes d’expression de l’amour se mêlent très souvent. Ou s’harmonisent d’une manière subtile, généralement peu claire.

Pourquoi « l’amour » ?

En réalité, la réponse à cette question est très simple. L’amour est cette force qui pousse toute forme d’existence à réaliser les potentialités encore non réalisées de l’existence. Et à devenir ainsi plus que ce qu’elle a été jusqu’à présent – ou, du moins, différente. L’amour naît essentiellement de l’envie de changer. Ou, dans un sens négatif, de l’envie d’éviter le changement et d’échapper à une contrainte intérieurement dérangeante, voire effrayante, de laisser derrière soi le passé et d’entrer dans une voie de transformation totale. 

Vénus, déesse de l’amour, n’est-elle pas née de la mer, toujours en mouvement et agitée ? Mais cette mer est aussi un vaste lieu de repos pour tous les refus de l’homme. Ainsi que pour la lente désagrégation des montagnes. Ses profondeurs connaissent la paix qui pardonne et oublie, l’absolution des multiples erreurs, péchés et tragédies des egos humains.

Pour le biologiste ou le psychologue à orientation matérialiste, l’amour apparaît comme une sorte de halo. Qui entoure la pulsion sexuelle de reproduction. C’est le glamour qui incite le garçon et la fille à surmonter leur insécurité innée, leur peur du sexe opposé. Et ce glamour est distillé par les glande. Tout comme l’intoxication alcoolique est le sous-produit de réactions chimiques affectant les nerfs et les organes du corps. 

La « nature » suscite l’amour chez l’homme et la femme lorsqu’elle fournit des couleurs et des plumages. Ils conduisent le mâle et la femelle à la danse biologique de la fécondation par laquelle la vie se perpétue.

Pourtant, la vie a aussi existé et les cellules se sont multipliées à grande vitesse avant que la différenciation sexuelle ne se produise sur terre. Le sexe, même dans ses aspects les plus primaires, ne répond pas seulement au besoin de reproduction. Il a aussi pour but d’ouvrir des voies de transformation. 

L’activité sexuelle est une activité fondamentalement orientée vers le changement et la mutation. Donc vers l’actualisation de ce qui n’était au départ qu’une potentialité. Vers la révélation de ce qui était encore inconnu, du mystère. Le sexe signifie la possibilité d’une variation infinie du développement génétique biologique. 

Et l’amour, même dans le sens le plus bio-psychique du terme, est aussi un pouvoir de mutation. Il change les perceptions, les réponses, le caractère de ceux dont la conscience et l’ego sont emportés dans le champ de leurs tensions, de leurs désirs, de leurs paroxysmes et de leurs frustrations, de leurs joies et de leurs tragédies.

Le poète français Edmond Rostand, dans son célèbre hymne au soleil, glorifie le donneur de lumière et d’ombres, en disant : 

« Ô Toi, sans qui les choses
ne seraient que ce qu’elles sont ! » 

C’est également vrai pour le sexe et l’amour. C’est vrai de toutes les relations humaines profondément vécues, car tout changement passe par la relation. L’amour est simplement le mode de relation le plus puissant, le plus transformateur. Celui qui a le plus de chances de faire d’un être humain plus que ce qu’il était avant d’être attiré dans le feu, et peut-être la lumière, du plus central de tous les sentiments et mouvements humains.

Pourtant, l’amour aussi peut suivre le chemin de l’ombre. Ceux qu’il touche peuvent se replier dans la confusion ou la peur. S’accrocher à la sécurité fallacieuse de l’ego, du familier, du consciemment connu et classé. Ils deviennent, dans une certaine mesure, « différents ». Mais sont aussi essentiellement vaincus. Et les murs de l’ego se referment sur la conscience qui se tourne vers le passé. Pour y trouver des modèles figés et une adoration obsolète.

Le « guerrier » fatigué peut chercher dans l’amour une issue et le repos d’une présence chaude et tendre pour ses muscles endoloris. Et pour son esprit confus, fatigué de s’efforcer sur la voie d’un « plus grand amour ». Celui qui exige des transformations toujours plus totales, des renaissances toujours plus héroïques. 

Pourtant, même cet « amour moindre » peut signifier le moment de repos nécessaire pour rassembler ses énergies avant la dernière lutte. Et dans l’histoire de Gautama, le Bouddha, nous voyons le jeune ascète affamé, épuisé par des pratiques sans signification, demander à une laitière de passage du « lait » à boire. Puis, restauré et en paix, il affronte l’épreuve suprême et atteint l’illumination et la compréhension totale.

Le cercle du changement : Vénus et Mars

L’amour est toujours la pulsion de transformation. Il y a cependant deux types fondamentaux de transformation. Le processus de changement peut être cyclique. Une série de transformations peut se répéter selon une norme établie par le pouvoir structurant de la « vie ». Ou d’une collectivité sociale, culturelle, religieuse. 

L’enfant se transforme en adolescent, l’homme et la femme physiologiquement matures aiment et produisent normalement une progéniture. Avec le temps, ils commencent à « vieillir ». Car le rythme glandulaire du corps se modifie, ralentit et devient quiescent. Pour finalement se fragmenter en tourbillons négatifs de désintégration.

Ce cycle biologique est reproduit plus ou moins fidèlement au niveau psychosocial et culturel par un modèle de changements dans le comportement et la conscience des individus, accepté collectivement et considéré comme acquis. Dans l’ancienne société hindoue, l’épanouissement tout au long de la vie du potentiel inhérent à l’être humain à la naissance relevait d’un schéma strict. Une série de quatre étapes à laquelle on attribuait une signification cosmique. 

Dans notre monde occidental moderne, le schéma est beaucoup moins rigide. Pourtant, nous le voyons se manifester dans l’idée que les adolescents constituent un « groupe d’âge » très spécial. Tout comme les « seniors » après (sinon avant) l’âge de la retraite. On considère également les individus autour de la « quarantaine dangereuse » comme un groupe plus ou moins spécial.

Le passage d’un groupe d’âge à l’autre ne correspond peut-être pas précisément à un âge donné. Cependant, la mode qui veut que les jeunes épousent un partenaire du même âge tend à accentuer une séparation entre les groupes d’âge. Une séparation à mon avis très malheureuse. 

Cependant, elle appartient au domaine où règnent la normalité et le conformisme. Où les valeurs socioculturelles s’efforcent, de manière plus ou moins délibérée et significative, de se modeler sur les événements biologiques et les changements glandulaires. C’est le domaine représenté en astrologie par Vénus et Mars.

Vénus est traditionnellement la planète qui fait référence à l’amour. Mais elle est aussi le symbole des organes qui produisent la semence masculine et féminine – testicules et ovaires. Vénus « règne » sur le sentiment amoureux. Mars, sur l’activité amoureuse et tout ce qui porte la semence à sa destination. Vénus est le rythme de la production des graines. Mars, le rythme de la fécondation.

Au niveau biologique, Vénus représente la chimie de l’amour. Le courant mystérieux qui établit un lien magnétique, peut-être atomique, peut-être seulement moléculaire et cellulaire, entre deux corps. Au niveau psychologique, Vénus est la réponse souvent instantanée à un besoin personnel. A ce qui, chez un autre être humain, semble offrir la possibilité de son accomplissement. « Avec toi, je peux être plus que ce que je suis maintenant ». C’est généralement inexprimé, mais c’est à la base de tout amour humain.

Pourtant, dans le royaume de Vénus, ce « plus » n’a pas le caractère illimité et ouvert que nous lui verrons acquérir dans le royaume de Neptune. C’est un « plus » limité par l’ego et la réponse glandulaire. Un « plus » qui s’accepte comme faisant partie d’un processus structuré par ce qu’on voit comme la fatalité du temps cyclique, de la séquence début-milieu-fin. Il accepte le corps humain et ses fonctions comme des souverains légitimes. Les traditions et la culture d’une société particulière ont une autorité plus ou moins incontestée. 

Mars, qui agit par amour, peut occasionnellement se rebeller et exploser. Mais Vénus a appris que les tabous sont des pouvoirs réels au sein de l’inconscient. Et que la « résignation chrétienne » peut conduire à une conclusion valable du cycle de vie. Même si elle implique un sacrifice de l’individu au collectif.

En tout cas, au niveau où Vénus et Mars fonctionnent symboliquement, c’est le besoin du corps et/ou de l’ego qui définit et suscite toujours l’amour. Il peut s’agir d’un amour passionné, incontrôlable, mais les besoins – qu’ils soient biologiques ou psychologiques – peuvent aussi être intensément impérieux. 

Les humains meurent de faim et de soif, et ils peuvent mourir du manque ou des souffrances de l’amour. Ou ils peuvent être poussés dans les échappées tragiques de la psycho-névrose et peut-être du sadisme ou du crime. Le vide insatisfait, les crises chirurgicales de la perte de l’amour sont en effet aussi bien physiques que psychologiques. Elles se traduisent souvent par des maladies psychosomatiques. Un cycle de vie dans lequel le « plus » potentiel s’est transformé en un sentiment de « moins » rongeant et obsédant se termine souvent par une défaite personnelle.

D’autre part, la plupart des sociétés glorifient comme l’être humain « mature » la personne qui a vu le type d’amour Vénus-Mars transformer l’adolescence instable en une normalité biologique et sociale stable. Vénus, dans sa personnalité, a accepté la règle traditionnelle de Saturne. Et Mars a appris à se comporter en termes de « bonne camaraderie » jupitérienne et de vertus morales acceptables pour sa société et sa culture. Tout va bien.

Des enfants naissent qui, après quelques années orageuses, redécouvriront probablement le confort de voyager dans les ornières parentales. Ils passeront d’un groupe d’âge à l’autre. Ils aimeront et rechercheront les honneurs qui accompagnent la maturité socio-personnelle. « Plus » signifiera pour eux « plus grand et meilleur ». 

Alors le changement désintégrera le château de sable de la vie personnelle normale. Et le cycle s’achèvera – un parmi tant de cycles humains, une des milliards de graines qui tombent de l’arbre de l’humanité et qui ne peuvent que se décomposer. Ajoutant simplement quelques produits chimiques spéciaux à l’humus de la biosphère terrestre.

La spirale de la transmutation : Neptune et Uranus

Pourtant, aucune fin de cycle ne revient exactement au niveau de son point de départ. Il existe un amour qui n’accepte pas d’être lié par les schémas de la normalité et de la maturité socioculturelle. Il est toujours prêt à accepter l’inconnu, les yeux et le cœur toujours ouverts, toujours chauds du sens de l’émerveillement et du don précieux de l’humilité et de l’adoration.

Un tel amour est au cœur même de la signification symbolique de Neptune. Neptune dissout tous les amours inférieurs. Afin que l’homme puisse commencer à ressentir dans son propre cœur et dans tout le champ de son être la pulsation du « plus grand amour », la présence du miraculeux. Cet amour ne nie rien. Il s’ouvre à tout ce qui existe. Il transfigure tout ce qui existe. 

Lorsque cet amour touche une personne qui appartient encore au domaine Vénus-Mars du conformisme social et de la soi-disant maturité personnelle, cette personne – si elle accepte le contact et écoute le chant de Neptune – se trouve dans un nouveau monde. Même si elle n’a pas changé de place.

Elle voit et ressent tout différemment. Tout est plus qu’avant, mais « plus » a maintenant un sens différent. Ce « plus » ne se réfère pas simplement à une nouvelle phase dans le modèle cyclique de la vie humaine normale et naturelle. Une phase menant à d’autres phases se terminant à la fin du cycle. C’est une phase à travers les limites du cycle. Et pourtant une phase qui ne signifie pas un changement de position.

Cela signifie une transformation de la capacité de l’homme ou de la femme à entrer en relation avec chaque chose et toute chose. Les premiers chrétiens utilisaient le mot grec agape pour décrire cette nouvelle façon de réagir à toute vie. 

Mais la traduction habituelle de ce mot, « charité », est très déroutante aujourd’hui. Car nous avons perdu le sentiment de charis, qui signifiait don divin de « grâce ». Un terme un peu meilleur est « compassion ». Mais lui aussi est généralement plus trompeur que révélateur.

Centaure, Salacie et Neptune, fresque antique à Pompéi.

Cet amour envahi par Neptune n’est pas un sentiment de compassion (comme on l’entend habituellement) pour ce qui est dans la souffrance ou le manque. Cet amour est un acte de transfiguration, un flux de lumière, un chant de tendresse. C’est un amour maternel aussi bien qu’un amour amoureux. Car il cherche à tout retenir. Et, bien sûr, plus particulièrement l’objet sur lequel l’amour est alors concentré. Dans la vaste ouverture d’une conscience pour laquelle tout contact est, ou tend à être, une dissolution des frontières et une absolution des peurs, refus ou péchés passés.

De même que Mars polarise Vénus, Uranus polarise Neptune. Neptune est l' »œil sans cils » de la divinité, toujours ouvert pour absorber la lumière. Et recevoir les messages de besoin et de désir de quiconque est prêt pour la transfiguration. Uranus est la réponse de l’œil, le regard lumineux. Pour l’individu aspirant à se libérer des implications cycliques de la normalité et de la productivité, il est une boisson enivrante d' »eaux vivantes ». Un chant de paix au-delà de toutes les tragédies.

Ni Neptune, ni Uranus ne nient quoi que ce soit. Si ce n’est l’asservissement à un modèle établi qu’on « doit » accepter et suivre jusqu’à la désintégration de la fin. Ce « grand amour » ne nie pas les petites amours, tant qu’elles servent aussi un but significatif et répondent aux petits besoins de la personnalité. Il leur donne simplement une nouvelle signification. Il les voit sous un nouveau jour : une lumière non pas moins belle, mais moins aveuglante. Une lumière libre de la fatalité des ombres qui pèse sur les petites amours de l’homme et de la femme asservis aux règles, aux résultats et aux regrets, sinon aux remords.

Ni Neptune, ni Uranus ne nient quoi que ce soit, si ce n’est l’asservissement à un modèle établi qui « doit » être accepté et suivi jusqu’à la désintégration de la fin. Ce « grand amour » ne nie pas les petites amours, tant qu’elles servent aussi un but significatif et répondent aux petits besoins de la personnalité. Il leur donne simplement une nouvelle signification, il les voit sous un nouveau jour – une lumière non pas moins belle, mais moins aveuglante, une lumière libre de la fatalité des ombres qui pèse sur les petites amours de l’homme et de la femme asservis aux règles, aux résultats et aux regrets, sinon aux remords.

liberté

Il n’y a pas d’ombre car l’ego a perdu sa substantialité ou son poids. Neptune a dissous le cadre de référence saturnien de la conformité sociale. Le sens rigide du lieu, de l’âge, de la fonction et du comportement habituel. Et Uranus est l’improvisation créative, la véritable spontanéité qui jaillit du noyau vibrant du soi de l’individu. Ce soi est toujours « individuel » – c’est-à-dire non divisible – mais il est encore plus un foyer particulier pour la lumière et l’énergie qui remplissent tout l’espace. Un foyer pour l’Homme, ou est-ce Dieu ? 

Le philosophe américain Oliver Reiser a écrit un jour : « Lorsqu’on connaît Dieu, il devient l’Homme. » Le chemin vers cette connaissance est celui du « plus grand amour », symbolisé par l’activité polaire de Neptune et Uranus. Ce n’est pas que « Dieu est amour ». Mais c’est plutôt que le « plus grand amour » transfigure (tout en les acceptant) les amours inférieures. Comme tout ce qui ajoute un « plus » à la conscience humaine. C’est cette activité suprême à laquelle les hommes ont maladroitement donné le nom de Dieu.

L' »état critique » de l’amour

Il est facile de devenir lyrique en parlant du « plus grand amour ». Si notre être a résonné à ses mélodies omniprésentes et sans fin. Mais il faut aussi concentrer son attention sur les problèmes concrets, les conséquences pratiques, les crises psychologiques. Ils sont inévitablement associés à la révélation de l’amour que Neptune inspire.

La première chose dont il faut se rendre compte est que tout ce qui appartient normalement au déroulement d’un processus socioculturel particulier et traditionnellement défini ne peut se séparer de la séquence déterminée de ses phases qu’au prix d’un effort soit prolongé, soit soudain et violent. 

Tout modèle cyclique de transformation (biologique et psychologique) oppose une forte force d’inertie à tout changement qui n’accepte pas ce modèle comme cadre contraignant. Donc à tout changement, et à tout amour, qui n’intervient pas dans la saison « normale » du cycle.

Or, c’est justement ce type de changement et d’amour que Jésus, selon les évangiles, attendait de tout être vivant. Y compris le fameux figuier auquel il demandait des fruits alors que ce n’était pas la saison pour en porter. Il a « maudit » le figuier, qui s’est alors desséché et n’a plus porté de fruits, ni en saison ni hors saison. L’appel de Jésus à ses disciples a résonné à travers les âges : « Soyez séparés ». 

Mais bien peu ont compris que, par ces déclarations symboliques, il voulait exhorter ses disciples à être dans le processus saisonnier cyclique de la nature et de la société. Mais sans en faire partie. C’est Neptune qui inspirait l’appel. Et Jésus n’a pas manqué de révéler – et de faire lui-même l’expérience – de la première conséquence inévitable de ce devenir « séparé » : « Prends ta croix. » En d’autres termes, « attends-toi à être dans un état de crise permanent ».

De toutes les personnes que Jésus a rencontrées, c’est un Samaritain de basse caste et aux nombreuses amours à qui il a déclaré qu’il était le Messie attendu. Un fait auquel la plupart des théologiens ne prêtent aucune attention, peut-être pour des raisons évidentes ! Il rejetait l’amour normal de la mère et des frères. Et proclamait la transfiguration de cet amour en un vaste sentiment qui englobait tous ceux qui suivaient ses traces, hors de la route régie par la tradition de ce que les hommes de son temps auraient entendu par normalité et maturité.

Cependant, les « petits enfants » affluaient vers lui. Car le petit enfant est symboliquement celui qui n’a pas encore été complètement adapté à la roue du processus routinier social-culturel et biologique de la productivité humaine – la fabrication d’objets et aussi la fabrication d’une progéniture (une autre sorte d’objets du point de vue de l’économie et du nationalisme).

Certains ministres de l’église clament à leur congrégation : « Êtes-vous engagés envers le Christ ? » Ils sont fiers de leur sentiment d’engagement. À l’autre extrémité du spectre idéologique, le philosophe athée Sartre exige de chaque individu qu’il s’engage totalement. Mais le seul engagement qui apparaît dans les paroles de Jésus, c’est l’engagement à ne pas s’engager, sauf à « la Croix », c’est-à-dire à la nécessité de passer par un état de crise plus ou moins permanent.

C’est cet état de crise et cette « traversée » qu’Uranus symbolise essentiellement. Les astrologues parlent de cette planète comme du Rebelle, du Révolutionnaire, de l’Iconoclaste. C’est surtout le « faiseur de crises » – et le mot « crise » vient d’un mot latin qui signifie « décider ». 

Décider, c’est d’ailleurs laisser tomber ce qui était utile. Le rythme normal des saisons oblige l’arbre à feuilles caduques à laisser ses feuilles tomber au sol. Elles y deviennent de l’engrais pour alimenter la croissance d’un autre cycle saisonnier répétitif. Il s’agit d’une crise au sein du processus cyclique. Comme l’adolescence et la ménopause sont des crises au sein du cycle normal de la vie humaine. Mais Neptune et Uranus évoquent et présentent aux quelques personnes qui sont prêtes une potentialité incessante de crise au cœur de l’expérience du « plus grand amour ».

Décider, c’est d’ailleurs laisser tomber ce qui était utile. Le rythme normal des saisons oblige l’arbre à feuilles caduques à laisser ses feuilles tomber au sol, où elles deviennent de l’engrais pour alimenter la croissance d’un autre cycle saisonnier répétitif. Il s’agit d’une crise au sein du processus cyclique, comme l’adolescence et la ménopause sont des crises au sein du cycle normal de la vie humaine. Mais Neptune et Uranus évoquent et présentent aux quelques personnes qui sont prêtes une potentialité incessante de crise au cœur de l’expérience du « plus grand amour ».

Cette crise peut être synonyme de condamnation sociale, d’ostracisme, d’isolement, d’une forme d’exil spirituel ou intellectuel. Du moins, d’incompréhension et d’une sorte de tolérance un peu narquoise de la part du citoyen confortablement adapté et officiellement mûr qui joue au golf en toute quiétude avec ses crises potentielles. Elle peut être plus sévère même dans ses aspects psychologiques intérieurs. Car ce qui est en jeu dans ces crises menées par Uranus et inspirées par Neptune, c’est le sens, la fonction et la valeur de l’ego lui-même.

Un psychologue moderne pourrait décrire la maturité comme l’état d’un homme qui a « assumé » ses complexes et a trouvé sa place dans la société. Mais tout ce qu’une telle personne a atteint, c’est un ego bien ajusté, en paix avec Saturne et en bonne entente avec toutes les institutions jupitériennes. De l’église de ses ancêtres à Wall Street, en passant peut-être par quelques divertissements de type « motel de cinq heures » en plus du golf du dimanche. Dans ce cadre Saturne-Jupiter, la capacité de Vénus-Mars à aimer est soigneusement régulée. L’amour peut être un moyen d’échapper à l’ennui au bureau ou à la monotonie conjugale. Dans tous les cas, il dépend entièrement du besoin temporaire ou peut-être constant et jamais vraiment satisfait de l’ego.

L’individu chez qui Neptune et Uranus sont toujours actifs n’assume pas ses complexes, il les utilise. Sa place dans la société est de ne pas avoir de place. « Le Fils de Dieu n’a nulle part où reposer sa tête » est un fait toujours présent. Et celui qui n’a peut-être pas eu de père ou qui l’a perdu dans son enfance a su utiliser son complexe paternel en introvertissant l’image du père et en l’universalisant comme « Notre Père ». Si quelqu’un parle tout le temps d’une image sublimée, c’est qu’il ne l’a pas « assumée », il s’en sert comme d’un tremplin pour la créativité.

Le vide, la douleur, la blessure sont toujours là. Même s’ils sont transfigurés, ou simplement parce qu’ils sont transfigurés, ils sont une Croix toujours présente. C’est à partir de cette croix que le « plus grand amour » est proclamé, au-delà du pouvoir de l’ego sur la structuration du caractère, au-delà de la culture et de la tradition – et pourtant à travers toutes ces frontières vitales de la norme sociale et biologique.

Chaque homme et chaque femme, ou presque, a connu, même brièvement, des moments où le « mécontentement divin » d’Uranus et quelque chose du « plus grand amour » de Neptune ont touché la forteresse saturnienne où le moindre amour alimenté par Vénus et Mars poursuit son travail de transformation qui change lentement, qui est prévisible et conventionnel. 

Pendant un instant, la conscience a reçu un choc qui l’a fait sortir de ses gonds, et une sorte d’extase passive a balayé l’esprit, comme un grand vent chargé du parfum des fleurs exotiques. Lorsque cela se produit, les hommes peuvent donner toutes sortes de noms à cette expérience en fonction de leur éducation et de leur culture. Pour certains, c’est la « grande passion ». C’est, pour d’autres, la « conscience cosmique ». Pour d’autres encore, c’est la « conversion religieuse ».

Aujourd’hui, alors que les rouages d’une société de plus en plus conformiste et dirigée attirent dans leur engrenage de plus en plus d’individus qui voudraient être libres, il est devenu à la mode, du moins dans l’intelligentsia, de prendre des drogues qui induisent des visions et des sentiments paranormaux d’existence sans limites et d’empathie intense avec les personnes qui vivent l’expérience. 

Peut-être, en effet, à travers de telles expériences, une personne peut-elle avoir un aperçu de ce qui devrait être un développement éventuel de la conscience humaine. Mais combien rares sont ceux qui sont préparés et prêts à une telle expansion de la conscience. Et qui, une fois le grand moment passé, savent quoi faire de son souvenir et de ce qu’il a laissé dans l’ego perturbé ou bouleversé ?

Le véritable chemin de Neptune et d’Uranus n’est pas de s’éloigner de Vénus et de Mars, mais de passer du plus petit au plus grand. Le plus grand peut entrer dans le plus petit dans les moments calmes d’un amour trop humain magnifiquement vécu. Tout ce qui est vraiment nécessaire est une ouverture totale et une absence totale de peur. C’est tout ce qu’il faut – mais c’est si difficile pour la plupart des individus liés à leur ego, modelés par la culture et dirigés par la société !

Les personnes très âgées et les très jeunes sont peut-être les plus à même de faire l’expérience d’une telle ouverture et d’une telle confiance dans la vie. Pourtant, le très vieux doit lutter contre la lassitude et les souvenirs, le très jeune contre l’insécurité et le manque de confiance en soi dans sa capacité à donner de la valeur aux rencontres dans lesquelles pourrait se révéler la présence qui rend toutes choses nouvelles – et toujours renouvelables et renouvelées. 

La spontanéité est l’âme de l’amour à tous les niveaux. Au niveau de l’amour Vénus-Mars, c’est une sorte de spontanéité sporadique, un envol qui retombe aussitôt sur le sol terrestre quotidien. 

Mais là où Neptune et Uranus imprègnent la conscience et les sentiments de leur infinitude débridée, la spontanéité, tout en revêtant un aspect quiescent, peut être la compagne omniprésente d’un amour dont le feu trouve partout matière à brûler et à se transmuer en lumière.